Le Tchadanthropus Tribune

samedi 11 juin 2011

« Le pouvoir de Déby Itno repose sur son armée tribale et l’argent du pétrole »

Les Afriques : Vous venez de mettre en place le Conseil national pour le changement et la démocratie (CNCD). Peut-on dire que c’est le prolongement d’un combat qui se mène cette fois à l’extérieur du Tchad ?

Annette Laokole Yoram : Absolument, On retrouve dans le CNCD, tous les mouvements d’opposition, estudiantins influents, et surtout des personnes influentes issues de la diaspora et de la société civile du Tchad. Nous prônons le changement pacifique en nous appuyant sur un cadre de lutte légal, cohérent et concerté avec tous les acteurs de la vie politique nationale. A l’intérieur du Tchad, comme à l’extérieur. Juridiquement, nous travaillons actuellement sur les textes pour légitimer nos actions.

LA : Justement, quelle est la différence de votre combat par rapport à l’opposition tchadienne restée à N’Djamena ?

ALY : La différence réside dans l’unification de la cause de notre combat. Toutes les forces
vives du pays sont de tout coeur avec le CNCD. Nous avons fédéré tous les mouvements politico-militaires, les partis politiques, la société civile, ce qui justifie la portée citoyenne de notre combat depuis l’extérieur du Tchad. A l’époque, il n’y avait pas toute l’opposition autour d’un même idéal. Les choses ont pris une nouvelle tournure depuis la mise en place du CNCD. Nous, nous voulons être une force de pression extérieure qui agit et qui utilise le lobbying international pour démasquer Déby et ses caciques collaborateurs.

LA : Que reprochez- vous au président Idriss Déby ?

ALY : Sa méthode de gestion des affaires de l’Etat. Il n’existe pratiquement plus dans le pays des espaces de liberté et d’expression pour les citoyens. La situation des droits de l’homme est dramatique. Nous sommes en face, impuissants, d’une dictature féroce. Déby et ses proches sont des intouchables. C’est la loi de l’allégeance. Notre pays est au bord du précipice. La télé et la radio profitent de l’analphabétisme des citoyens pour faire les éloges de Déby et son clan et se mettent à son service exclusif. Nous sommes dans un parti unique qui ne dit pas son nom.

LA : Il y a eu des élections présidentielles tout récemment. Pourquoi Déby a-t-il remporté haut la main le scrutin ?

ALY : Pour nous, cette présidentielle était du saupoudrage. Les dés étaient pipés pour son parti et ses alliés. L’opposition significative a décidé de boycotter ce scrutin, parce qu’elle était gagnée d’avance. Une grosse arnaque électorale aux fins de se maintenir au pouvoir. Idriss Déby a tout fait pour se retrouver lors de cette compétition avec des candidats qui ne pèsent pas lourd. C’était, si vous voulez, du Déby contre Déby Itno.

LA : Le Tchad exploite depuis 2004, le pétrole de Doba, pourvoyeur de recettes à l’économie du pays. Est-il bien géré ?

ALY : Pas du tout. Les gisements pétroliers de Doba rapportent depuis 2004 des centaines de milliards de dollars par an au Tchad. Malheureusement, l’argent du pétrole est géré par Déby et son clan. On gère le puits de Doba à partir de la présidence. Sa famille en tête et ses proches serviteurs. Ni le gouvernement, ni le Parlement ne discutent de ce dossier. Ils n’ont aucun moyen de contrôler la gestion du pétrole de Doba. Personne ne demande des comptes au chef de l’Etat.

LA : A quoi sert donc le Collège de surveillance que Déby a mis en place ?

ALY : C’est du saupoudrage. Depuis sa création, certains avaient applaudi. Aujourd’hui ceux-là même sont devenus ses détracteurs potentiels. Déby règne en roi depuis qu’il a chassé du pouvoir Hissèine Habré. C’est la réalité.

LA : Ne pensez-vous pas que votre combat se complique depuis la paix des braves entre Omar Béchir et son voisin Déby ?

ALY : Absolument. Nous en sommes conscients. Le Soudan servait de point d’appui pour la plupart des mouvements de rébellion pour déloger du pouvoir Déby. Le président a échappé à plusieurs tentatives de putsch à partir de l’Est du pays. Les gens sont sans armes aujourd’hui. Bon nombre d’entre eux se sont repliés vers d’autres pays à l’étranger. L’essentiel, est d’arriver à faire comprendre aux millions de Tchadiens que l’heure du changement est arrivée. Et que le destin du pays est entre nos mains. Ce que le CNCD leur offre.

LA : Finalement, sur quoi repose le pouvoir de Déby Itno ? ALY : Le pouvoir de Déby Itno repose sur son armée tribale et l’argent du pétrole de Doba qu’il utilise à des fins de se maintenir longtemps au pouvoir. Il joue bien son poker.

LA : Pourtant, il continue d’appeler au dialogue ces dernières années ?

ALY : Le président n’est pas sincère dans son appel au dialogue. Au moment où il fait un pas en avant, il casse des dynamiques derrière et dresse les uns contre les autres. Il dirige le pays depuis 20 ans avec une main de fer.

LA : Selon vous, où se trouve la clé du départ de Déby au pouvoir ?

ALY : Dans l’apport des forces de chaque Tchadien et Tchadienne pour la consolidation de nos actions. C’est la seule voie. Sans elle, rien n’est possible. L’originalité de notre action réside dans la contribution de personnalités féminines engagées dont Jacqueline Moudeina, Delphine Djerabe. Le point focal de notre combat est de donner une autre lecture de la situation politique à des pays comme la France, les USA, la Grande Bretagne, où les jeux d’influence pèsent. Son pouvoir se fragilise. Déby est un colosse au pied d’argile.

LA : En perdant un allié comme Kadhafi dans la région, ne semble-t-il pas opportun d’approcher le CNT de Benghazi ?

ALY : C’est une réflexion. Pourquoi pas. C’est une opportunité d’ouvrir des concessions. Surtout que le pouvoir de son parrain Kadhafi est en perte de vitesse.

Propos recueillis par Ismael Aidara, Paris

Aucun commentaire: